Evaluation des normes : la démocratie se cache dans les détails !

La période estivale n'est pas la meilleure pour l'actualité politique. Mais Humeurs Politiques ne vous abandonne pas pour autant !

Le Premier Ministre Edouard Philippe a adressé le 26 juillet aux membres du gouvernement une circulaire relative à la "Maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact". Ca vous semble abscons et secondaire ? Pas d'inquiétude, Humeurs Politiques est là pour vous éclairer sur ce sujet fondamental.

De quoi s'agit-il ? Pour faire court, l'ensemble de la classe politique s'accorde à condamner sa propre tendance à empiler les textes et les normes sans évaluation précise de leur impact, tant en termes de coût que d'efficacité. Mais ce n'est pas sa faute, à la classe politique, elle est victime de la technocratie d'un côté, et de la pression médiatique de l'autre.

Prenant le sujet à bras le corps (comme d'autres avant lui), Edouard Philippe adresse donc une courte circulaire aux ministres et secrétaires d'Etat, dans laquelle il fournit un objectif et une méthode.
  • L'objectif : pour une norme nouvelle créée, deux normes de niveau équivalent supprimées
  • La méthode : chaque ministère compétent doit procéder à sa propre évaluation, et pour chaque norme proposée, identifier les deux normes à supprimer dans son champ d'intervention et de politique publique (et non pas celui du voisin évidemment, la Défense par exemple ne devant pas proposer des économies à la Culture et vice-versa) ; le Secrétariat général du gouvernement (rattaché au Premier Ministre) est chargé d'analyser la qualité et la sincérité d'évaluation des ministères
La circulaire liste des exceptions qui se situent hors du champ d'application de la règle dite du "deux pour un", ce qui rend difficile l'appréciation de l'efficacité future du dispositif, à supposer qu'il soit mis en oeuvre avec zèle. Accordons-lui donc le bénéfice du doute.

Le sujet semble technique, il est pourtant au coeur du fonctionnement démocratique. L'inflation normative est un sujet qui touche tant les citoyens que nous sommes que les collectivités locales. En 2012, une Commission Nationale d'Evaluation des Normes a été mise en place, chargée d'évaluer l'impact des normes imposées par l'Etat aux collectivités locales. Les constats dressés 5 ans après par son Président Alain Lambert, ancien Ministre du Budget, sont alarmants : ci-dessous un petit florilège :

"Le « flux » de nouvelles normes ne cesse de croître. En 2016, le CNEN a examiné 544 textes, alors que leur nombre était de 398 en 2015, et de 303 en 2014. C’est très préoccupant, notamment en ce qui concerne le risque de contentieux que cette situation induit (...) Concernant le coût des normes : pour les 544 projets de textes analysés en 2016, le coût brut est de presque 6 milliards d’euros. Nous ne croyons pas au fait que ces normes permettraient de réaliser 1,4 milliards d’économies. Cela constitue une hausse importante des charges pour les collectivités."

"Je pense que certaines administrations centrales se sont positionnées comme prescripteur de droit. Et comme prescripteur politique. Elles ont conquis le pouvoir politique. Et sur le plan démocratique, c’est un sujet suffisamment grave pour qu’un nouveau président de la République s’attache à clarifier la situation."

Ou encore, en 2016 : "Les autorités politiques se mobilisent vraiment. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, a montré une vraie volonté de lutter contre l’inflation normative. Le Sénat s’est mobilisé à plusieurs reprises. Les associations d’élus s’investissent sérieusement, notamment l’AMF. André Vallini, ex-secrétaire d’Etat à la réforme territoriale, a fait avancer les choses autant qu’il a pu. Malheureusement, les administrations centrales freinent toujours et considèrent que la France ne pourrait pas vivre sans leurs textes. Ce sont pourtant elles qui paralysent le pays et mettent en panne sa croissance."

"Les administrations centrales n’obéissent pas à la volonté politique. L’année 2016 doit être celle durant laquelle le pouvoir politique réaffirme avec force son autorité sur ses administrations. Si, à la fin 2016, il n’a pas repris la main sur celles-ci, j’en conclurai que la France n’est plus gouvernée par le pouvoir élu, mais par les administrations. Et qu’elles ont réussi un « coup d’Etat rampant »."

"Si l’excès normatif ne cesse pas, la démocratie aura rendu son dernier souffle, et il faudra constater que le pouvoir politique a perdu le pouvoir en France"

Voilà pour le volet collectivités, mais nous sommes également concernés en tant que particuliers. Alors, si vous aussi, vous en avez marre de l'Etat-nounou ; si comme moi vous êtes entrés en résistance en refusant d'installer un détecteur de fumée dans votre domicile ; si vous pensez que la loi Evin va beaucoup trop loin et ne sert à rien ; si vous trouvez que mangerbouger, c'est bien, mais que des fois, on veut juste des frites, bordel ; réjouissez-vous ! Au plus haut niveau, on semble décidé à prendre le sujet en main.

De ce pas, j'adresse un courrier au Premier Ministre, via le formulaire de contact disponible sur son site Internet, afin de demander à ce que les évaluations mentionnées dans la circulaire soient rendues publiques en temps réel. Je publie dans un post séparé le texte de ce courrier, n'hésitez pas à le copier-coller et à l'adresser également en votre nom propre à l'adresse suivante : http://www.gouvernement.fr/contact/ecrire-au-premier-ministre.

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